CERNA
Centre d'Etudes et de Recherches sur la Neige et les Avalanches
Recherche de preuves et expertise judiciaire dans les accidents de montagne
"Quelle compétence technique et qualité est-il nécessaire de posséder pour réaliser des expertises judiciaires ?"
Réponse proposée par Alain Duclos, expert "neige et avalanches" près la Cour d'Appel de Chambéry :
Quelles sont les compétences et qualités nécessaires à la recherche de preuves dans le cadre d'expertises concernant des accidents de montagne ? Une réponse est proposée sur la base du traitement des accidents d'avalanches.
A titre d'exemple, nous présentons d'abord la teneur d'une réquisition à personne qualifiée aux fins d'examen technique et scientifique. Sont ensuite exposées quelques unes des techniques mises en uvre aux stades successifs de l'expertise.
L'objectif de l'expert est d'éclairer la juridiction sur les points mentionnés dans la réquisition.
La trame qui m'est soumise jusqu'à présent peut être synthétisée en quatre points.
Pour la partie terrain, les conditions d'expertises sont souvent rudes. La collecte d'informations nécessite forcément de se rendre dans un secteur dangereux. L'altitude, le froid, le vent et les précipitations compliquent à la fois les déplacements et le travail proprement dit, mais aussi les capacités d'analyse. Pourtant, la plupart des informations doivent être recueillies au cours de la première visite sur le terrain. Il arrive que les observations ne soient plus possibles quelques jours après l'avalanche, voire seulement quelques heures après.
Un bon travail d'expertise nécessite de rester suffisamment longtemps sur place, et de se déplacer le plus possible afin d'avoir une vision claire de la situation sous plusieurs angles. Il est aussi utile de refaire au moins une partie de l'itinéraire des victimes s'il s'agit d'accidents impliquant des skieurs ou des randonneurs.
C'est pourquoi il est important que l'expert missionné pour un accident d'avalanche soit aussi un montagnard autonome. Cette autonomie lui permet parfois de s'affranchir du recours à l'hélicoptère. Une fois sur place, il disposera de tout le temps nécessaire pour réaliser son expertise, s'il est capable de revenir en secteur sécurisé par ses propres moyens.
Jusqu'à un passé récent, la représentation cartographique d'une avalanche constituait souvent un casse-tête redoutable. Les dimensions de l'avalanche et les localisations des zones de départ, d'écoulement et de dépôt étaient généralement imprécises.
Le recours au GPS et à un Système d'information géographique permettent aujourd'hui de réaliser une cartographie précise, à environ 5 m près. Dans ces conditions, il devient encore plus important de parcourir intégralement l'avalanche pour effectuer les relevés.
Le sondage par battage et la réalisation d'un profil stratigraphique restent les moyens classiques de description d'un manteau neigeux à un endroit donné. Néanmoins, le manteau neigeux peut avoir de très importantes variations d'épaisseur et de constitution d'un endroit à l'autre, même sur des distances de l'ordre de quelques mètres. Ces variations, qui correspondent à des variations de résistance, peuvent être à l'origine de l'instabilité qui a donné lieu à l'avalanche.
Dans le cadre d'une expertise judiciaire, la description du manteau neigeux et son analyse ne peuvent pas se baser sur la réalisation d'un seul profil stratigraphique. Le choix des emplacements de sondages relève des compétences de l'expert.
La description de la stratigraphie peut être complétée par des images de grains de neige réalisées en laboratoire après prélèvement ou sur place avec les moyens de prise de vue adaptés. Ces éléments d'une grande précision ne me semblent pas indispensables compte tenu de l'état actuel des connaissances scientifiques et de la variabilité spatiale du manteau neigeux.
La recherche de l'historique avalancheux du site est issue de l'exploitation des diverses cartes de risques existantes. Elle est complétée par des entretiens avec les sachants locaux.
La recherche de données nivo-météorologiques passe par l'inventaire des stations de mesures, automatiques et manuelles.
L'expert doit être capable de saisir ces données pour les traiter et pour les restituer dans son rapport sous une forme aussi claire que possible.
L'analyse des données doit conduire à l'explication du phénomène, concernant surtout son origine. La question qui se pose le plus souvent est de savoir si l'avalanche s'est déclenchée spontanément ou accidentellement. Dans le cas où elle aurait été déclenchée accidentellement, il est important des déterminer si elle a été déclenchée par les victimes elles-mêmes ou par des tiers.
On se pose alors la question de la prévisibilité de l'avalanche et, par conséquent, des possibilités d'éviter l'accident.
Il serait relativement aisé de répondre à ces questions si la nivologie était une science aboutie. Malheureusement, force est de reconnaître que la connaissance des avalanches est aujourd'hui restreinte. Néanmoins, la communauté scientifique reste très actives et quelques équipes de chercheurs ont apporté récemment des réponses satisfaisantes à certaines questions sur les mécanismes de déclenchement des avalanches. Ces équipes travaillent par exemple en Suisse et en France, mais aussi aux Etats Unis et au Canada. C'est pourquoi l'expert "neige et avalanches" doit être au fait des publications scientifiques récentes, à l'échelle mondiale.
En ce qui concerne les expertises avalanches en particulier, et les expertises en montagne en général, la première des qualités nécessaires à l'expert est probablement son aptitude à se déplacer en sécurité et à travailler en montagne. Alors seulement il sera affranchi de préoccupations parasites et aura la disponibilité d'esprit nécessaire pour orienter judicieusement sa recherche d'informations
La maîtrise des techniques récentes est utile pour la réalisation d'un rapport cartographique précis et fiable, qui servira ensuite à l'analyse.
Dans le cas particulier des expertises concernant des avalanches, l'expert doit connaître les résultats des travaux scientifiques modernes, qui apportent un éclairage nouveau dans la compréhension du phénomène. Ces résultats montrent que des certaines règles de comportement sur le terrain, admises sur la base de préceptes anciens, sont en fait à l'origine d'usages dangereux.
Enfin, la bonne connaissance des usages des montagnards permet à l'expert de mieux comprendre les comportements des protagonistes et, éventuellement, d'estimer dans quelle mesure et avec quelles conséquences ils y ont dérogé.